Chez Laurent Guenat, l’acte de peindre tient de l’engagement. Il met en forme un regard critique posé sur ce qui entrave l’Homme dans l’expression de son énergie primitive. Le travail de l’artiste témoigne des bouillonnements de la vie dans cette lutte perpétuelle pour s’extraire des enfermements qui avilissent. Le spectateur est ainsi entraîné dans un processus de questionnements, comme en témoignent d’ailleurs les titres des œuvres : « Devant la TV », « Du goudron et des plumes », « Homo volens » ou « Sisyphe ».
L’artiste nous introduit dans un monde étrange, peuplé d’êtres hybrides, incomplets ou morcelés, qui nous inquiètent ou nous font rêver, mais qui bousculent toujours notre manière de nous protéger à l’intérieur de « nos clôtures ». La silhouette humaine – ou animale – est au centre de ses recherches picturales. Sur la toile, ou sur le papier, elle remplit souvent tout l’espace. Elle y est aux prises avec une forme qui lui est intrinsèquement liée et dont elle semble vouloir se libérer. Des tons sourds, des jaunes sombres, des bruns, des gris, parfois posés en coulures, « pluie ou barreaux », servent ce sentiment d’urgence. Des êtres nouveaux, des êtres en révolte, traités à l’acrylique, à l'huile et au brou de noix, s’incarnent ainsi véritablement sous nos yeux. Cette démarche donne lieu à un travail complexe et subtil sur les matières : une succession d’enduits et de papiers de soie, pouvant atteindre une quinzaine de couches, s’inscrit sur la toile, formant une métamorphose continue, comme une réelle activité organique. C’est que, comme le précise l’artiste : « Les papiers de soie, froissés ou lisses, sont des peaux intermédiaires, fragiles cloisons des palimpsestes que nous sommes, que l’Homme dresse face à la servitude des attitudes apprises, imposées, adoptées sans opposer de résistance, en paravent aux questions qui s’ensuivent. »
Géraldine Veyrat, historienne d'art
Laurent Guenat Le corps, une nourriture qui tient au ventre