TextesJean-Claude Prêtre
Exposition du 21 novembre au 19 décembre 2004 Danaé, interfaces ne te retourne pas Danaé est le troisième et dernier volet d’une trilogie commencée au début des années 80 avec Suzanne et suivie dans les années 90, par Ariane. Trois femmes, l’une d’origine biblique, les deux autres issues de la mythologie grecque, trois thèmes de la peinture, trois manières de se rendre compréhensible le « monde » en le réinventant plutôt qu’en se l’appropriant comme le font nombre d’artistes à la suite de Marcel Duchamp. Suzanne d’après Suzanne et les vieillards du Tintoret dans la collection du Kunsthistorisches Museum de Vienne : une manière de régler ses comptes avec le passé en faisant une enquête sur le sens de l’invisibilité du principal « terme » de son chef d’œuvre viennois, cette borne sacrée qui servait dans le monde latin à délimiter une propriété privée… Ariane : la peinture considérée comme le Labyrinthe où se croisent les desseins de la ruse et de l’instinct, où l’on devient progressivement le chemin que l’on parcourt… et l’actuelle Danaé : comme une libre lumière dans la géométrie des hasards de la peinture… Chaque volet de la trilogie est constitué de plusieurs séries distinctes. Dans les trois volets, il existe des formats sur des support divers, mais en général, les œuvres sont de grands formats peints à l’acrylique sur toile. La présente série, Danaé, interfaces, a une origine informatique. Ce qui change dans cette série par rapport au travail de la peinture est lié au support final et, durant la phase créative, à la rapidité des impulsions digitales : les flux de données numériques ouvrent à des connexions, à des liaisons paradoxales, à des solutions de continuité ou de rupture qui se réalisent sur l’écran à la vitesse de la pensée. Pour le peintre habitué à commencer son travail avec des accidents et un chaos visuel, à provoquer la perte délibérée de ses repères pour élaborer un ordre toujours relatif et en suspens, à construire des surfaces au moyen d’une succession patiente de glacis sans cesse réajustés, à représenter des motifs dûment figurés pour les faire disparaître sous des surfaces sciemment compliquées et couvrantes, l’usage du processeur lui permet de faire ces mêmes expériences de manière virtuelle. Soit : de renoncer à celles qui mènent à des impasses et de sélectionner celles qui ont un sens pour sa démarche, et contrairement aux effets que ces activités de recouvremenmt et d’effacement exercent sur la peinture, d’être dans le virtuel sans conséquence sur la matière de l’œuvre. Les créations numériques sont toujours pensées en rapport avec une taille aussi importante que les grands formats en peinture. Elles prennent une forme définitive dans le format le mieux adapté à leur propos au moyen du tirage Lambda sous verre acrylique recto/verso. Les procédés digitaux dans la série Danaé, interfaces permettent la jonction d’un double répertoire personnel d’images qui proviennent de la peinture et de la photographie, deux techniques utilisées de tout temps par l’artiste, tantôt séparément, tantôt ensemble. Cette jonction se fait par la confrontation de leurs enjeux artistiques opposés et par l’usage de leurs contrepoints techniques. A ce double répertoire s’ajoute encore, à l’occasion, une collection éclectique d’images, appartenant à l’hisoire de l’art, principalement. Il faut souligner que le concept de jonction et d’interface préexiste dans le mythe même de Danaé, qui unit terre et ciel, charnel et spirituel, sexe et monnaie de temps, et ici, virtuel et arborescence oraculaire du thème : de ses racines antiques à ses marges créatives proches les plus aventureuses. Danaé encore métaphore de l’artiste saisi comme elle par une force fabuleuse qui lui dicte son bon vouloir, et métaphore de la peinture même, toujours entre géométrie des hasards et hasards de la géométrie. Dans cette série, l’ordinateur remplace les instruments traditionnels de la peinture, toutefois les méthodes de travail restent les mêmes et ce qui a toujours gouverné en profondeur la subjectivité de l’expression n’a pas pour autant été remplacé par une motivation nouvelle. Le problème du peintre est encore : comment renouveler la peinture ? L’ordinateur est l’instrument actuel par lequel peut se penser l’une des formes de ce renouvellement. Cet outil dispose d’une palette de couleurs sans limites et de la technique du collage (le paradigme du contemporain) : il facilite la fabrication d’une image composite, d’une image composée de plusieurs images, d’une image d’image. En tant qu’instrument de l’avant-garde technique actuelle, il permet de reconsidérer des domaines de la pensée déclarés sans perspective par une certaine élite de fonctionnaires de l’art : s’intéresser à ce qui a été rejeté par notre culture – à cet interdit – est l’un des ressorts de la trilogie. JCP (dans «trou», revue d’art, Moutier 2004) Le Quotidien Jurassien, samedi 4. décembre 2004 ARTS – A Perrefitte, la Galerie Selz – art contemporain présente une suite de tableaux récents de Jean-Claude Prêtre, qui recourt à l’image virtuelle pour prolonger le langage pictural traditionnel Danaé, fondement philosophique d’une œuvre jetant un pont entre passé et présent Jean-Pierre Girod Après avoir exposé au cloître de Saint-Ursanne, en été 1998, puis à Delémont, Galerie de la FARB, au début 2003, Jean-Claude Prêtre, qui vit et travaille à Genève, est de retour en terre jurassienne, son pays d’origine. A la Galerie Selz – art contemporain, à Perrefitte, il expose jusqu’au 19 décembre des variations digitales – tirages Lambda sous verre acrylique – sur un thème qui lui est cher, celui de Danaé, la légendaire princesse d’Argos qui, dans une pluie d’or, s’accoupla avec Zeus. Nouvelle orientatioon de l’œuvre d’un artiste qui ne cesse d’interroger l’histoire de l’art et de remetttre en question le langage de la peinture, propsant ici son prolongement informatique. L’exposition fait écho à la parution toute récente de da revue d’art Trou, pour laquelle ces nouvelles œuvres ont été spécialement crées. Depuis ses premiers tableaux, au début des des années 60, Jean-Claude Prêtre a passé par plusieurs étapes. Il a brièvement côtoyé une forme d’abstraction lyrique, dessiné des portraits marqueés par l’expressionsime, mis en scène des personnages dans des espaces imaginaires puissamment découpés, avant que ces espaces ne devienntent eux-mêmes sujets. Vers 1980, il entamait une trilogie biblique et mythologique, avec Suzanne, Ariane, aujourd’hui Danaé. Interactivité de l’inconscient et du réel Aussi loin qu’on remonte, l’art de Jean-Claude Prêtre est marqué par un amour de la matière, un apsect labyrinthique qui égare l’œil et l’esprit du spectateur dans les profondeurs de tableaux faits «d’enchaînements irrationnels» savamment organisés, et par une extrême sensualité. Surtout, les nombreuses références culturelles jettent des ponts entre passé et présent. Prêtre invoque des personnages mythologiques, les suggérant en des formes qui remettent continuellement les limites de l’expression picturale en question. Il a poussé les possibilités de l’acryl dans leurs derniers retranchements, est passé maître dans la construction et la déconstruction du tableau par d’incessantes successions de glacis, a associé la peinture à la photo, la gouache et au polaroïde. Le recous récent aux procédés informatiques s’inscrit dans cette volonté de repousser les limites de son art. Ce n’est plus de la peinture au sens strict, puisque l’œuvre résulte d’une organisation de formes et de couleurs virtuelles fixées ensuite par un tirage Lambda plus proche de la photogrtaphie que de l’art pictural, bien entendu. Pourtant, par l’esprit , ces dernières œuvres s’inscrivent dans la continuité du travail de Prêtre. Elles reprennent et développent les thèmes travaillés à l’acryl, dans ce même esprit apparemment chaotique où le sujet – Danaé – n’apparaît que furtivement sous la forme d’un détail anatomique, d’une silhouette, d’un drapé, occupant plus rarement le tableau entier, mais en filigrane. Cette confusion, ce chaos qui oblige le spectateur à errer dans le tableau afin d’en trouver le sens – celui que son attention et sa sensibilité lui révéleront – est le moteur même du travail de l’artiste, il est ce labyrinthe qui fascine et guide Prêtre depuis trois décennies, né de l’interactivité de l’inconscient et du réel. Poésie pétrie de sensualité Dans le remarquable ouvrage que la Bibliothèque des arts de Paris lui a consacré en 1998 (J.-C. Prêtre, Ariane, le Labyrinthe ) , l’artiste note : «On ne peut se sentir en harmonie avec le monde dès lors que l’on devient progressivement le chemin que l’on parcourt…» Le labyrinthe pris comme métaphore de la création, où les errances, les additions et soustractions, les ajouts, les suppressions deviennent les éléments constitutifs de l’œuvre définitive. Car Jean-Claude Prêtre n’appartient pas aux peintres qui mettent en forme une idée préétablie : l’œuvre se révèle et acquiert son autonomie en cours de travail. Cette patiente élaboration prend une nouvelle dimension grâce à l’ordinateur, qui permet la même démarche, mais réalisée pour ainsi dire au rythme de la pensée. La galerie Selz présent les derniers travaux de l’artiste sous le titre de Danaé, série interfaces. On cherchera en vain des références précises à la maîtresse de Zeus et à sa tour d’airain : l’évocatioin mythologique n’est pas directe, Danaé, comme le labyrinthe, sont les fondements philosophiques d’un art libre qui puise dans le passé pour mieux bousculer l’expression artistique contemporaine par des hardiesses formelles et aujourd’hui technologiques. Un art de la métamorphose, à la fois puissant et troublant, aux accents poétiques pétris de sensualité. |
Jean-Claude Prêtre
Exposition:
novembre - décembre 2004 |