Textes
Le Quotidien Jurassien, Samedi 16 mai 2015, page 30: <Art>
Le paradis selon Claude Gigon Jean-Pierre Girod Changement total de technique et de style, à la Galerie SELZ art contemporain, à Perrefitte, où Claude Gigon expose ses aquarelles et toiles récentes jusqu'au 24 mai. Toutefois, le thème s'apparente à celui que Darko Vulic présente à Moutier: des animaux. Mais ici, singes, vaches, taureaux, poulains revêtent une autre signification. L'artiste jurassien se réfère à l'Eden, ce paradis qui donne son titre à l'exposition. Né en 1960 à Porrentruy, Claude Gigon vit à Delémont et travaille à Porrentruy. En 1993, une bourse de canton du Jura lui a permis de séjourner à la Cité des arts, à Paris. Il a également reçu le prix d'encouragement de la culture et des sciences de la ville de Delémont en 2009, et un prix au concours artistique <enjoy Switzerland> l'année dernière à Porrentruy. On lui doit une vingtaine d'expositions personnelles, les premières aux Etats-Unis, où il a vécu, puis dans différentes galeries et institutions suisses et jurassiennes. Le Musée jurassien des arts, à Moutier, avait accueilli ses oeuvres en 2011. Expression libérée Peintre autodidacte, Claude Gigon ne s'est jamais attaché à un style particulier, préférant travailler par cycles indépendants les uns des autres. Il s'est tour à tour exprimé par l'abstraction, prenant pour sujet des formes indéfinies ou des sphères évoquant un monde cellulaire ou sidéral, puis une figuration sommaire, peignant des visages blafards, un peu dans le goût de Miriam Cahn, des vestes, des bonshommes de neige traités en un style enfantin. Il s'est également lancé dans l'installation, avec une montagne de chocolat blanc présentée en 2011 au Musée de Moutier, sans négliger la performance, comme lors de la Balade gourmande de Moutier, l'année dernière. Avec EDEN, Gigon revient à la peinture unique des animaux, qu'il prend d'ailleurs pour sujet depuis plusieurs années. Il donne de son idée du paradis des visions éphémères, plus convaincantes dans les huiles que dans les aquarelles, d'une technique souvent hésitante et un peu lourde. Les toiles, au contraire, apparaissent d'une manière générale plus maîtrisées, plus vivantes que ce que l'artiste a peint jusqu'à présent. Dans des décors souvent monochromes, éthérés, offrant des ambiances oniriques, des singes jaunes traversent d'un bond l'espace, un taureau en mouvement occupe toute la largeur de l'oeuvre, dans une gerbe de poussière qui dit sa puissance et sa rage. Et c'est un sentiment de tendresse qu'inspire ce Petit cheval blotti dans une sorte de bulle triangulaire qui rappelle le cône de la montagne enneigée dominant la scène. Toutes les huiles et aquarelles ont été créées cette année, elles sont empreintes d'une certaine jubilation qui contraste avec la morosité, l'esprit sombre qui prédominait dans les oeuvres précédentes. L'expression semble se libérer. Exposition 03. mai - 24. mai 2015 / allocution lors du vernissage – duetto ave Juliet Mesdames, Messieurs Mon épouse et moi vous saluent et vous souhaitent un cordial bienvenu pour la première exposition de la saison 2015. Cette année, nous aurons cinq expositions jusqu'à la fin décembre, dont chacune diffère totalement de toutes les autres ; vous trouvez le détail sur notre nouveau site internet. L'artiste qui ouvre aujourd'hui son show chez nous, est un vieil ami de la galerie : Claude Gigon, de Delémont, qu'on ne présente plus. Un parcours de trente ans d'artiste-peintre ne l'a pas fait vieillir, au contraire. Décrire son parcours est un peu comme décrire l'essence d'une carrière artistique tout court. C'est des explosions d'esprit qui l'ont constamment amené à de nouvelles formes de transport visuel. Pour lui, l'art est une extériorisation, une expression de soi et de la solitude cosmique de l'humain, un moyen de recherche de la vérité cachée et de communication par-delà <moi-même> et <toit-même>. Il a fait tellement d'inventions adorables : Dont ses <portraits d'idée>, avec lesquelles il a trouvé en total indépendance tout un domaine de la théorie de l'art, voyant dans le dessin et dans la peinture des figures de pensée (Gansterer, Springer 2011), ou avec cette peinture <exécution sans jugement>, qu'un médecin d'ici aimait tant et n'osait pas acheter par peur de son épouse ! Cette liste pourrait être continuée longtemps. Nous évoquons seulement encore <le moulin de la mort>, vidéo, où l'artiste nage sans relâche contre le courant du Doubs, très intense à ce lieu-dit que vous connaissez sûrement, vidéo, avec lequel Gigon contribuait un peu de sens et d'humour à l'outre-goût de l'épidémie d'art conceptuel cérébralisé. Cette exposition porte le titre ḖDEN. L'artiste l'a trouvé un soir en discutant avec moi dans son atelier. Le texte de notre carte d'invitation donne comme explication une référence à Nietzsche dans le <gay savoir>. Parce que c'est tellement beau et tellement vrai, je me permets d'en rajouter un peu, dans ma traduction : <Tout ce livre n'est rien d'autre qu'un divertissement après une longue privation et défaillance, l'exultation de la force réveillée, d'une foi renaissante en un demain et après-demain, d'un sentiment soudain et d'une intuition d'avenir, d'aventures proches, … , d'objectifs à nouveau licites et crédibles> : ḖDEN. Beat Selz, 27.4.2014 Exposition 03. mai - 24. mai 2015 / texte de salle La transformation esthétique est sa vocation. Il a tout donné pour cela, et très tôt appris, en autodidacte, à déployer grand son âme, à se doter peu à peu des outils adaptés à sa propre recherche, à s’y exercer jusqu’à atteindre la maîtrise nécessaire pour capter le monde dans ses œuvres. Pour ce faire, il a acquis – toujours en autodidacte – une vaste culture qui lui permet de se libérer des doctrines, de bâtir sa propre théorie et, comme peuvent y contribuer les métaphores picturales, de comprendre le tragique déguisé de la vie humaine. Cela peut sembler pathétique à l’heure où l’art contemporain est devenu, dans une mesure oppressante, le fétiche de l’industrie financière. Au cours des dernières décennies, les peintres ont eu la vie dure dans les écoles d’art. En France, l’art conceptuel a été élevé, voici trente ans, au rang d’art d’Etat et la peinture, bannie. Or, les réactions issues de l’extérieur se multiplient. L’anthropologie (Emmanuel Anati 2007) rappelle que les œuvres d’art plastique répondent à un besoin fondamental de l’humanité depuis 40'000 (!) ans, et qu’elles constituent, au même titre que les écrits, des documents historiques. Ne témoignent-elles pas de la capacité de synthétiser, d’abstraire et d’imaginer les phénomènes de la réalité visible et de l’expérience intérieure, les croyances et les idéologies qui reflètent la condition humaine? L’art travaille avec des symboles qui transmettent des informations, traduisent une hypothèse ou des figures de pensées, font entrer l’âme humaine en résonance avec le langage des formes et des couleurs (Nikolaus Gansterer 2011), conformément aux dernières découvertes sur la nature de la perception (Paul Feyerabend 1994). Et les sciences de l’éducation affirment, cinquante ans après 1968: «Etre progressiste signifie aujourd’hui [...] conserver» (Roland Reichenbach 2014). La peinture est redevenue d’actualité. Depuis 25 ans, Gigon expose loin à la ronde dans tous les domaines de l’art contemporain, depuis la peinture et le dessin jusqu’à la performance, en passant par la vidéo («Moulin de la Mort») et l’installation, avec pour récents couronnements une exposition au Musée jurassien des Arts de Moutier (2011) et deux autres – véritable consécration – à la galerie DuflonRacz à Berne (2009 et 2013). Ce chemin, l’artiste l’a accompli seul («L’isolement des figures ou des objets exprime le fait que, dans la vie, on est toujours seul face à l’adversité, et même face au plaisir puisque notre ressenti est unique. Le fondement de la condition humaine est qu’on n’échappe pas à cette solitude»). Il s’est aussi remis de sérieux revers. Il se trouve aujourd’hui dans la position d’un artiste mûr et son attitude morale est celle de l’homme guéri, telle que Nietzsche la décrit dans son avant-propos à la deuxième édition du Gai savoir: «[...] cela signifie les saturnales d’un esprit qui a résisté patiemment à une terrible et longue pression [...] et qui se voit soudain assailli par l’espoir [...].» C’est pour cela, mais pas seulement, qu’il a donné à l’exposition de ses dernières œuvres – toutes réalisées en 2015 – le titre: EDEN. Beat Selz, 19.01.2015 (traduction : Léo Biétry) Extrait d'entretien entre l'artiste et Valentine Reymond, directrice du musée jurassien des arts, Moutier, lors de l'exposition Nuit américaine (05 mars au 08 mai 2011). ................................................ C.G. J'ai une prédilection pour le jeu des antinomies et des contrastes dans mon travail en général. Dans 100%, j'ai déjà parlé du contraste entre la pureté du blanc et la masse outrageuse du chocolat. Un contraste qui implique les sensations dualistes de l'attirant et du grotesque. De même la part olfactive de cette installation est attractive, alors que sa forme peut repousser le spectateur par son extravagance. Ces antinomies entraînent une mise à distance et un questionnement du spectateur. Dans ma peinture, il y a aussi des contrastes entre sujets et facture. Tantôt je traite de sujets agréables, comme des fleurs, qui sont peints de manière brutale. Tantôt, au contraire – ce que j'ai adopté de plus en plus – le sujet est plus dramatique, ambigu, et le traitement est fluide. V.R. Qu'est-ce qu'expriment ces contrastes? C.G. Pour moi, le contraste c'est la vie par excellence. C'est le symbole de ce à quoi on est confronté au quotidien, l'amour et la haine, le désir et la frustration, les impulsions et les limites. J'exprime ainsi la condition humaine, à laquelle on doit s'adapter ou contre laquelle on doit lutter. C'est ce qui me questionne le plus. V.R. Dans ta peinture, les figures sont toujours isolées, est-ce pour des raisons esthétiques, ou pour exprimer un contenu, ou encore pour établir une relation particulière avec le spectateur? C.G. Au cours de mes recherches picturales, j'ai éliminé peu à peu tout ce qui était accessoire à mon sujet, pour radicaliser ce que je voulais mettre en évidence. L'isolement des figures ou des objets dans ma peinture exprime le fait que, dans la vie, on est toujours seul face à l'adversité, et même au plaisir puisque notre ressenti est unique. La base de la condition humaine pour moi est qu'on n'échappe pas à cette solitude. V.R. A propos de difficultés, tu as réalisé une vidéo que tu présentes dans cette exposition qui s'intitule Le Moulin de la mort. Tu y nages contre le courant, dans une sorte de mission impossible. C.G. Le thème de cette vidéo est l'absurdité du combat de la vie. Naître pour mourir, c'est déjà délicat. « De l'inconvéniant d'être né », comme nous dit Cioran (?). Le Moulin de la mort, c'est une performance filmée qui fait un clin d'oeil au mythe de Sysiphe. Face à l'adversité, n'est-ce pas le processus de faire, de tendre vers qui est plus important que le but et le résultat? Le titre de cette pièce se réfère à une frontière entre la France et la Suisse dans le Doubs, ou beaucoup de gens ont perdu la vie en essayant de passer d'un pays à l'autre, pour faire de la contrebande par exemple. Dans ma performance filmée, le fait de nager sur cette frontière renforce pour moi l'aspect poétique de cette action absurde. .......................................... V.R. Tu encres ton travail dans la réalité, dans les difficultés de la vie, et en même temps tu parles souvent de rêve par rapport à ton travail. Tu as intitulé une de tes toiles visionnaires Nuit blanche, dans ta série des Enveloppes la présence latente de figures peut faire songer à des apparitions, il y a souvent des effets de flottements du sujet dans ta peinture. Quel rôle joue le rêve pour toi? Est-ce qu'il est nécessaire pour échapper à la condition humaine? C.G. Le rêve c'est l'échappatoire nécessaire pour pouvoir continuer. Pour moi, tout est en suspension puisqu'on peut disparaître à tout moment. L'effet de flottement dans mes peintures traduit cette disparition à laquelle on est destiné et on doit faire face. Dans le rêve, il y a tous les fantasmes qui font que la vie est acceptable. Il est vital et nous sauve. V.R. Donc quelque part ta peinture te sauve? C.G. Oui, elle me sauve puisque je suis en suspension. V.R. D'ailleurs le titre de ton exposition, Nuit américaine, peut évoquer le domaine du rêve. C.G. La Nuit américaine est un film de Truffaut où on voit les trucages pour créer des effets de nuit, grâce à des filtres, en filmant en plein jour. Comme mon oeuvre est investie par le rêve, ce titre convient bien à mon exposition. Je me pose la question du pouvoir du rêve. Est-il plus ou moins important que les moments d'éveil? Le fantasme n'est-il pas plus important que l'acte? Le rêve traduit toutes nos envies et nos peurs, il nous permet d'avancer. Il est un des thèmes centraux de mon travail. Quand on ouvre l'oeil de la nuit le jour, c'est ce qu'il y a sur mes peintures. V.R. Le format de tes tableaux est toujours vertical, donc de type portrait. Pourquoi? C.G. Avec le format paysage horizontal, on est toujours dans la contemplation. La verticalité entraîne une lecture plus abrupte et découpée. Ce format correspond à mon thème principal qui est le corps humain. On peut s'y projeter comme dans un miroir. Claude Gigon – exposition du 30 mars au 27 avril 2008 – information médias Son parcours, Claude Gigon l’a accompli seul, sans maîtres ni modèles. Longue route que celle d’une boulangerie-pâtisserie de Porrentruy – où il est né en 1960 – vers le gotha des confiseries suisses puis, à force de bourlinguer, jusqu’à participer à la création d’une grande confiserie italienne à San Francisco. Un jour qu’il n’en pouvait plus d’extruder toujours les mêmes décorations sur des tourtes et des pralinés, il s’est mis à peindre. Pendant deux années, il suit des cours de dessin et de sculpture au centre culturel mexicain et au Collège de San Francisco. De retour en Suisse en 1993, il a pu travailler une année à Paris grâce à une bourse de la République et Canton du Jura, avant de s’étabilir à Delémont. Il partage son temps entre la peinture, la sculpture et ses activités de géomaticien sur les chantiers paléontologiques jurassiens. Depuis 1991, il a présenté son travail dans une quinzaine d’expositions personnelles et vingt collectives. En 1999, une sculpture monumentale en pierre calcaire du Jura lui a valu le premier prix du concours pour l’aménagement du parc de l’École professionnelle jurassienne à Delémont. Dans les combles de la maison mitoyenne, où il vit avec sa famille, se trouve un de ses anciens ateliers. Avec ses petites fenêtres, on dirat une vaste caverne. C’est là que sont nées les grandes toiles aux paysages obscures qui reposent à présent. Elles semblent surgir des limbes, mondes houleux pétris dans le magma de la préconscience, chus d’un cosmos intérieur qu’ils interpellent : gravitant en eux-mêmes, mais ouverts sur de vastes abîmes qui les drainent. Paysages de l’âme ? Claude Gigon les a vus, au fond des bois et des gorges sauvages, sur les crêtes et les pâtures jurassiennes. Mais ce qui se dépose sur la toile est le fruit d’une lente métamorphose. Ces oeuvres illustrent parfaitement ce que Ernst Ludwig Kichner écrit dans son journal : «Il n’y a qu’un art, et celui-ci provient de l’intimité avec la nature» ; mais le travail de l’artiste consiste à «recréer une image intérieure aux formes abstraites», à condenser «la vision de l’expérience profonde». Ce que Claude Gigon jette sur la toile, au sens fort du terme, c’est son intériorisation du monde environnant. Ces images, il les porte longtemps en lui, inconsciemment d’abord, jusqu’à ce qu’elles s’annoncent peu à peu, chacune déjà embryonnaire au sein d’une précédente ; et soudain elles font éruption comme propulsées par un excès de pression. Le temps d’une journée, d’un lendemain à la rigueur, et elles gisent là, épurées, sédiments énigmatiques et inaltérables. Son art, dit Gigon, consiste à donner forme à ses préoccupations : or ce qui naît en un court laps de temps, est le fruit de vingt ans de réflexions. (Extraits modifiés du texte de H.P.Gschwend, traduit par Edouad Höllmüller, dans le catalogue «panta rhei», Officinaarte, Lugano 2007). |
Claude Gigon
Expositions:
mai 2015 mars - avril 2008 |